Au bar du Loui

EXTRAIT Tome 2

Il était attablé sur la banquette qui jouxtait le bar du Loui, une position stratégique.  La vue d’ensemble lui permettait d’entendre quelques conversations : « on a perdu en bourse notre culotte avec l’affaire Belfius », « but repeat Don, too much noise here », « non, non la Générale de Banque, j’en suis certaine ».  Entre onze et treize heures dans son champ de vision trônaient deux vieilles rombières partageant d’antiques victorieux succès boursiers remportés par feus leurs maris, tandis qu’une Anglaise aussi décrépie qu’un froc de curé s’agitait téléphone en main.

L’épave donzelle de droite arborait une chevelure rousse comme on en voit aux salles d’attente des aéroports lorsque les mouquères trépignent à l’idée de retrouver la tata Zaza qui vient pour la première fois en Europe.  Sise dans un grand fauteuil à large dossier, elle était digne.  Les jambes encore élégamment croisées, les deux mains, parfaitement manucurées placées sur les genoux.  La tremblote naturelle permettait parfois à quelques bagouses de recevoir de fins rayons de lumière réfléchissant leur authenticité.  Les deux thés fumaient encore.

« Ici, ça sent le Burberry, les nénés siliconés,  les aortes silicosées », pensa-t-il ! La pute de gauche, à dix heures, jouait de son chapeau tulipe.  Massacrant des yeux le quinqua à Rolex brillante, son regard semblait traverser les yeux vitreux,  direction braguette !  Une pute métisse !  Une catin comme il en existe tellement à Bruxelles.

Le « black»  à droite se tenait sérieusement, humidifiant le majeur pour faire défiler les pages du menu « Wiltchers ».  La gourmette scintillait au moins autant que les vieilles bagues d’à côté.  L’homme lorgna avec insistance à sa droite ; il avait repéré une proie de choix.  Blonde, les cheveux mi-longs, des yeux sans doute clairs, il ne saurait en être autrement, de longs doigts, une nez aquilin et air sérieux moulé dans un jean classe.  À coups sûrs, elle vivait à l’hôtel, elle venait de signer l’addition de son numéro de chambre.  Saint Val imagina très vite ce qu’il aurait pu en faire de la blonde un peu potelée à gros seins.  Il se voyait déjà la baiser pépère dans une chambre à 700 euros la nuit.  Il paierait la piaule, c’est plus chic.

Mais, le véritable objet de toutes ses convoitises momentanées était tout autre.  Eduardo, le jeune serveur espagnol, cleptomane de talent, venait de déposer la carte à puce sous une serviette de papier glissée sous le  Perrier qu’il venait de commander. Les plats venaient d’arriver à la table où se trouvaient le couple de Syriens et la cible. À l’odeur, sans doute une version ostendaise de la bouillabaisse.  Ils en avaient pour une heure au moins, café compris.  Il vérifia le cadran de la Mark II.  Encore trente secondes, et il paierait la note.

Il quitta discrètement le Loui, longea le couloir mi-marbre, mi-tapis orientaux, et se dirigea vers le lounge.  Elena était assise au bar.  Il la frôla et fit glisser la carte magnétique dans le sac tout en commandant un « Talisker 30 cl iceless ».

Elle savait qu’à partir de maintenant, elle avait trente minutes pour percer les secrets de l’ordinateur de la cible.  Juste le temps de copier les fichiers et de laisser un traceur au coeur même du disque dur.  Saint Val partit s’asseoir à l’écart dans le lounge, le  verre de whisky à la main.  Soudain, la tension se relâcha, son niveau de risques immédiats baissait pour quelques instants.  Il releva la tête.  Le dispositif anti-incendie collé au plafond lui semblait étrange, en tout cas plus étrange que les autres.  Il fit mine de retourner son téléphone et en profita pour prendre un cliché discret du dispositif.  Puis il se dirigea vers les toilettes.  Enfermé, il appliqua un filtre sur la photo.  La Sûreté de l’Etat ne variait que rarement ses méthodes.  À l’intérieur du cache en plastique, une caméra à dôme filmait la pièce.

S’il avait été en villégiature ou en simple planque, il aurait saisi sa tablette et y aurait inscrit en police 60 et en lettre rouge « Vu, la VSSE, bien joué halte au feu  » !  Mais le temps n’était pas à la plaisanterie.  Il espérait qu’Elena n’avait pas été reconnue, et que le dépôt discret dans le sac au bar était passé inaperçu au moins à priori.

 

A suivre…

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