Vendredi 11 mai 1984, Vielsalm

Extrait du tome 2 : l’action se passe en mai 1984, juste avant l’attaque de la caserne.

 

« Pour l’heure, à la caserne de Vielsalm, on laisse partir les recrues. Il est 16 heures et le contingent volontaire s’apprête à prendre le train pour rentrer tantôt à Liège pour les plus proches, tantôt à Bruxelles pour les courageux du service militaire obligatoire. Ceux du Hainaut ne seront pas chez eux avant vingt heures pour les chanceux logeant près d’une gare. Pour les fils de la campagne, il faut encore ajouter le trajet en bus. Pour ceux vivant dans la cambrousse pas encore modernisée, il faudra récupérer le vélo laissé à la gare dimanche dernier. En espérant ne pas se l’être fait voler. Au mieux, qu’un crétin n’en ait pas crevé les pneus. Il faut dire qu’avec une solde si petite, les bidasses même volontaires pour les Chasseurs ardennais n’ont pas beaucoup de moyens. Le service militaire se fait juste après la dernière période scolaire. Futurs enseignants, agents des eaux et forêts, mécaniciens, engagés rêvant d’aventures militaires ou encore aspirants-comptables, s’engager chez les Chasseurs ardennais est un choix, un vrai. Un peu comme pour les paracommandos, il faut se porter volontaire. La promesse est tenue, sauf celle de voyager loin.

En effet, avec de la chance, on atterrit au 3e Chasseur ardennais basé à Vielsalm qui a pour mission principale « en pied de paix » comme en « pied de guerre » de protéger le territoire national. Deux autres missions sont d’une importance non négligeable. L’entraînement constant, avant tout. Parmi les Chasseurs, on compte des fantassins, des fusiliers, des éclaireurs, des spécialistes techniques et quelques gratte-papiers, il en faut. Donc pas de projection hors patrie, mais une mission quasi secrète dans le cadre de l’appartenance à l’OTAN. Les Chasseurs ont à charge de sécuriser l’arrivée éventuelle de troupes américaines en transit pour contrer une intrusion soviétique voire pour une invasion des Pays de l’Est, du Bloc. C’est une simulation d’un de ces exercices qui a mal tourné quelques jours auparavant.

Les Tontons sont arrivés en mode riposte.   Le cadre de l’exercice : organiser une résistance accrue contre l’envahisseur soviétique arrivant à la Zoll allemande. Les GI’s ont atterri de nuit après un parachutage par nuit claire. Après un premier contact avec un agent local (un Chasseur jouant le rôle d’un maquisard), ils ont décidé de prendre d’assaut un petit poste de Gendarmerie pour dérober documents, cartes topographiques et quelques armes. Bien entendu, ils sont armés en conséquence, le but est de neutraliser les forces en présence qui pourraient avoir la mauvaise idée de se rendre un peu trop facilement à l’envahisseur Rouge qui se pointe dans quelques heures comme le stipule le scénario de l’exercice. Mais rien ne s’est passé comme prévu, les gendarmes ont été violentés sans aucune modération, et deux grenades offensives ont dévasté un local d’audition dans la petite gendarmerie de village. Rappel à l’ordre pour tout le monde, mais permission accordée aux Chasseurs qui ont tout de suite bien réagi aux élans incongrus des boys. Et puis, les exercices sont annulés. À quoi bon caserner de si bons soldats, rustiques et solides comme leur animal fétiche : le sanglier dont leur béret arbore une fière hure.

Un flot d’une cinquantaine de types en tenue réglementaire mais sans armes sort par paquet de trois de la caserne Ratz. Les « cochons » longent les bâtiments administratifs de part et d’autre de l’allée. À la guérite, un adjudant discute avec un planton. Le salut militaire est de mise, même un jour de sortie. Les quatre pilastres reliés par des grilles montées sur un muret de cinquante centimètres sont érigés fièrement. Entre deux d’entre eux, on trouve une pierre commémorative en l’honneur du Sergent Ratz du 10e de ligne tombé au champ d’honneur lors de la Première Guerre mondiale. Le béret large flanqué sur la tête, les troupes désertent peu à peu la caserne qui se vide. Une surveillance minimum est appliquée. Le 3e Chasseur ardennais (3èmeCha) est constitué de quatre compagnies.

La première est constituée de recrues et de son encadrement de formation. On y apprend les métiers de base, l’obéissance et le maniement rudimentaires des armes : pistolet GP (sauf pour la troupe), le pistolet mitrailleur Vigneron, le mythique fusil d’assaut FAL et ses quelques variantes. On y passe de la vie civile à la vie militaire. C’est ici que le jeune belge volontaire se fait casser, c’est ici que l’on confirme son choix de combattre en unité opérationnelle durant près d’un an. Après trente jours, l’appelé volontaire, avant de rejoindre l’un des bataillons de Chasseurs, bivouaque durant quarante-huit heures. Scellant ainsi sa vie de profane montagnard, commençant celle de l’initié du massif ardennais.

La seconde compagnie est celle des réservistes. Dix fois par an, et par période de quinze jours, la réserve vient s’entraîner avec intensité. Pas de temps morts, peu de repos, une mise à niveau des nouvelles techniques, de l’exercice physique, de l’entraînement tactique et des matches de corps-à-corps, le programme est plus que bien rempli. Par contre, aucun contact avec la première compagnie, c’est interdit. Seuls les « cochons » parlent entre eux. Il faut dire que la spécialité est composée de peu d’élus. En 1984, le contingent est d’un peu plus de sept cents hommes, troupe et encadrement. Il se dit dans les couloirs et sur les sentiers boueux que la deuxième compagnie du 3e Cha regorge d’agents spéciaux, des gars qui travaillent pour l’OTAN même en période de paix et malgré leur vie professionnelle.

La troisième compagnie n’existe que parce que la troisième langue du royaume est l’allemand. Traditionnellement, les Chasseurs germanophones sont casernés à Vielsalm comme tous les gars issus des Cantons de l’Est. On y parle en allemand entre bidasses, mais les ordres sont aussi donnés dans leur langue maternelle. Les hommes se mélangent toutefois. La cantine et le mess révèlent souvent un brouhaha proche de la langue luxembourgeoise, la tonalité flamande en moins.

La quatrième compagnie est celle de l’État-major et du Service. Les questions logistiques, administratives et celles relatives aux ordres et missions sont traitées par des spécialistes sectoriels. Enfin, un peloton mortier et un peloton éclaireurs, des missiles antichars (Milan) et des engins à chenilles composent le gros du matériel. Les « cochons » sont fiers, et ne souffrent d’aucune jalousie par rapport à d’autres corps prestigieux. Tout comme l’Ardennais, il est « solide » le « cochon » et sa devise en dit long : résiste et mords. S’attaquer un sanglier relève de la démence, alors à une caserne ardennaise, même vidée d’une partie de son cheptel. »

Fin de l’extrait.

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