Tueries du Brabant wallon / Les magasins #scène 1

Extrait de BrabanCIA, première vague ISBN : 9782960178111

Vendredi 17 décembre 1982, banlieue de Bruxelles 

Il ne reste plus qu’un magasin à faire, celui de Genval situé en Brabant wallon. Michel Lijf en a marre ! Neuf mois que dure ce petit manège. Un peu plus de deux cents jours de surveillance si l’on enlève les dimanches et jours fériés. NewEra, sa structure, n’a jamais été mandatée pour une mission de renseignement d’aussi longue haleine. L’action lui manque. Où est passé le temps des ratonnades à Arabes, des soirées avec ses amis skinheads, des opérations de déstabilisation, de la chasse aux communistes sous toutes ses formes.

Il a tout stoppé net pour se concentrer sur la surveillance des quinze grandes surfaces choisies par la Sûreté de l’État.

Ce vendredi soir, il est devant le dernier magasin, assis dans une Golf Rabbit bleue. Marc, son acolyte est déjà à l’intérieur. Tel un quidam, il fait mine d’y faire ses courses. Et il note déjà tous les détails sur une fausse liste de courses : dispositifs de sécurité, nombre d’employés, situation des lieux, présence du gérant, localisation du coffre et des réserves. Michel, quant à lui, répertorie les allées et venues en sus des éventuels passages de policiers ou de gendarmes.   Il baisse la molette du potentiomètre du récepteur portable branché sur les deux fréquences des forces de l’ordre lorsque le combi de gendarmerie arrive à sa hauteur. Il saisit un bouquin et feint de lire à la lueur du plafonnier qu’il vient d’allumer. « Pas de chance, j’étais sur la fréquence des bleus poulets » se dit-il. Heureusement qu’il a l’œil partout. La camionnette VW blanche fait le tour du parking. Et puis soudain, redémarrage en direction du centre-ville.

Le parking est presque plein de voitures tantôt de classes moyennes, tantôt de grosses cylindrées. À cette époque, le Brabant wallon c’est pour tout le monde. Rien à voir avec l’explosion de la migration de cadres bruxellois vers cette nouvelle luxueuse et campagnarde province-dortoir.

Des hommes, des femmes viennent faire les courses en cette dernière semaine avant le rush des fêtes de fin d’année. Parfois, ils sont accompagnés par de jeunes enfants. D’ailleurs, Hilaire son officier traitant, a été très clair en début de mission : pas de périodes particulières pour les opérations de surveillance ! Alors il a, avec l’aide de Marc et de Koen, opéré à grande vitesse tout en étant précis. Ils se sont partagés les tâches entre les quinze magasins depuis mars 1982 ; neuf mois déjà.

Comme à son habitude, Michel n’a posé aucune question sur le pourquoi de la mission. Pire, il ne se pose jamais aucune question. Il sait que de toute manière cela participe à l’émergence de la pensée qui est sienne : refaire de l’Europe et de l’Occident une terre blanche et surtout non communiste.

Le capitalisme, le libéralisme et l’atlantisme ne sont pas des buts avérés pour lui ! Non, ce sont des moyens de virer les « cocos et les bougnouls » et d’empêcher cette vermine, y compris la juive, de prendre possession des institutions et des modes de pensée qu’il chérit tant : un peuple, une nation et peut-être un guide. C’est sa mission principale, le pourquoi son cœur bat. Pour le comment, c’est au sein du réseau NewEra qu’il l’a trouvé. Un service secret civil fonctionnant comme un réseau de résistance. Il n’a jamais été dupe, et a vite su qu’il était arrivé quelque part dans une nébuleuse dirigée par l’OTAN, et de ce fait, indirectement mais solidement liée à la CIA.

Il ne doute pas de faire partie d’un tout, mais son patriotisme final passe par la protection de la Belgique et de l’Europe Blanche. Une structure fonctionnant sur le mode du parrainage.

« Même si pour cela il faut s’allier avec les Américains. L’ennemi de notre ennemi est notre ami », voilà ce qu’il aime dire lors des rassemblements secrets de la petite cellule qu’il dirige. Et puis les meilleurs limiers allemands n’ont-ils pas pactisé avec le diable Sam pour lutter contre l’invasion de la pensée Rouge qui devait précéder à l’invasion totale du monde par les « salopards de communistes » ? Ceux du réseau Gehlen ont œuvré pour les Américains et certains se sont vus propulsés dans le nouveau service de renseignement allemand d’après-guerre. Reinhard Gehlen était lui-même devenu patron du fameux BND[1].

Pourtant, Michel a failli quitter le navire en juin 1981 lorsque survint le vol des documents de l’OTAN dans le QG des forces militaires belges à Evere. Pour lui, ancien officier de la Force Navale, cela avait été l’opération de trop. Il avait été de tous les coups depuis 1974, date de création du Front de la Jeunesse.

Toujours dans la mouvance d’extrême droite — terme qu’il refusait et réfutait —, en 1979 NewEra avait enfin été créée. Plus musclée, plus organisée et plus internationale, cette nouvelle officine aurait pu faire pâlir n’importe quel service de renseignement structurel et classique. Avec les « Bruns » à la barre, il y avait peu de chance que les « Rouges » puissent en prendre le contrôle ou même y injecter un « insider ».

Mais le vol des télex l’a secoué quand même. Puis, à coups de discussions et de promesses, il y est resté. On l’avait alors maintenant nommé comme responsable des relations avec les armées secrètes de l’OTAN en Belgique. Le point de contact avec les autorités clandestines c’était lui. Il avait vécu cela comme une sorte de promotion, et n’était pas peu fier d’avoir comme référent le commissaire de la Sûreté, Hilaire Sarre.

Il sort de son véhicule pour rejoindre le trottoir adjacent à la grande surface. Pour gagner du temps, il passe par la petite pelouse sur laquelle est ancrée l’enseigne du magasin. Il enjambe les barrières blanches en béton vérolé. Il contourne l’arrêt de bus où quelques clientes, les bras chargés de sacs en papier carton au logo du lion, attendent que le car les amène, elles et leurs courses, juste devant leur cuisine pour y déballer les effets de ménages et autres denrées. Une femme, habillée d’un impair gris avec un fichu marron sur la tête, remarque une ombre qui passe derrière la fenêtre de l’aubette. Un homme calme, grand et presque beau affronte quelques gouttes de pluie, le pas rapide. Il s’engouffre dans la cabine téléphonique de couleurs acier et orange sur laquelle on peut lire en grand RTT (Régie des Télégraphes et Téléphones). Il y insère deux pièces de dix francs belges et compose le numéro situé à Bruxelles.

— Ministère de la Justice – Ministerie van Justitie, goeiedag bonjour.

— Oui bonjour Madame, je désire parler au commissaire Sarre. De la part de son neveu Michel.

— Oui. Un instant Monsieur. Je vais voir s’il est disponible.

— Allo ? Michel ? dit la « voix de son maître » après quelques instants.

— Oui Tonton. C’est moi. Comme prévu, je suis devant le numéro 15.

— D’accord. Je t’appelle dans cinq minutes. Ça se termine toujours par 38 ?

— Oui. Toujours.

— À tout à l’heure, mon neveu.

— A tout à l’heure Tonton.

Il raccroche, se retourne et ferme les yeux quelques instants. Quand il les ouvre à nouveau, il est en mesure de voir ce qui a changé dans le décor depuis qu’il a composé le numéro de téléphone. Pas grand-chose visiblement. Un bus a emporté trois bonnes femmes, mais l’abri s’est rempli de trois autres corps, dont celui d’un homme de petite taille qui doit approcher la cinquantaine. Au jugé, il apprécie la situation. L’homme ne représente aucun danger. « Trop précieux et trop dragueur », juge-t-il. La cabine résonne de cette sonnerie particulière.

— Allo ?

— C’est Hilaire. Désolé pour le retard, mais il y avait du monde jusqu’à la « safe zone » pour t’appeler.

— Je croyais que tu aurais été plus vite avec cette pluie.

— Il ne pleut pas sur Bruxelles…

— Je suis au 15. On a presque terminé. On a tout. On vient de finir la partie sur place.

— Pour le gérant, l’inspecteur, les horaires et les adresses du personnel ? Tu as tout ?

— Oui, on a fini ça ce matin. J’ai terminé le rapport et il ne me reste plus qu’à ajouter ce qu’on a collecté aujourd’hui et ce soir.

— OK. C’est du bon boulot. Tes rapports précédents ont été appréciés en haut lieu.

— Vraiment ?

— Oui vraiment. Écoute, je sais que ça a été neuf mois pas faciles du tout. Je sais que ce n’est pas le genre de missions que ton groupe et toi vous appréciez. Mais il faut le faire. Tu le sais bien.

— Je n’ai rien dit. J’ai juste hâte de reprendre un peu sérieusement l’entraînement physique.

— J’ai justement une bonne nouvelle à ce sujet. Dimanche soir, je passe tous vous prendre. On part en Ardenne pour trois jours. D’autres gars sont venus du Portugal pour vous former.

— Je croyais qu’on ne disait rien par téléphone.

— Je suis dans un endroit sûr et j’ai vérifié, il n’y a pas de Zoller[2] en cours dans la cabine où tu te trouves, et encore moins de Malicieux[3].

— Tant mieux. Je prépare tout pour dimanche alors ?

— On se voit d’abord demain midi pour le rapport sur le 15. À la Brasserie. OK ?

— OK. J’y serai. Midi ?

— Non 13 heures. Le temps que j’y arrive.

— À demain.

— À demain, petit.

Michel dépose délicatement le combiné, un peu songeur. Il aperçoit Koen qui remonte dans la Santana verte et qui repart en direction du ring à tombeau ouvert. Il doit certainement encore une fois être en retard pour aller chercher son fils à la crèche. « Il arrivera encore une fois en retard à la planque ce soir ». Ce n’est pas un mauvais gars, au contraire. Le genre d’homme efficace et qui pose peu de questions. Lui est un ancien du parti néonazi flamand. Le beau fascisme est génétique chez lui. Son grand-père a été enrôlé par le parti REX durant la guerre. À ce que l’on dit, il a même fait partie des SS.   Koen parle aussi couramment allemand, ce qui fait de lui la personne de contact avec les mouvances sœurs en Allemagne.

C’est mal parti pour un timing précis et respecté. Michel se dirige vers le petit bistrot situé à deux cents mètres du magasin Delhaize. Il fait d’abord un petit tour de sécurité, vérifie qu’aucun flic n’est à l’intérieur et va s’asseoir sur la banquette grenat la plus au fond du café. Il commande une Duvel et prend le petit carnet dans la poche de sa veste Barbour en toile huilée verte. L’ambiance dans le bistrot est bonne, normale. Quelques hommes commentent l’actualité. On y évoque encore le tremblement de terre au Yémen. D’une amplitude de six sur l’échelle de Richter, près de deux mille morts. On évoque aussi la mort du sculpteur malinois Willy Anthoons.

C’est un café typique. Un grand moustachu fait office de patron, mais il semble ne pas porter la culotte tant sa Flamande de femme est forte en gueule.

Quelques clients sont rivés au bar. Une population d’une moyenne d’âge autour de cinquante, des adorateurs de la Gueuze-Belle-Vue si l’on en croit le nombre de cadavres près de la plonge, les verres à moitié pleins sur le comptoir et l’exode de bocks typiques – échancrés comme le corps d’une femme – du verrier suspendu.

La porte en verre à battants en bois s’ouvre soudainement, mais en douceur, l’homme qu’il l’a poussée se retourne rapidement, jette sa cigarette et un dernier regard dehors avant d’entrer. Il se dirige vers le bar, commande une Rodenbach grenadine et part s’installer près de Michel. La petite pancarte avec la mention « ouvert » finit de battre sur la porte. À peine assis, il allume une nouvelle Belga et tire dessus comme s’il n’avait pas fumé depuis des jours.

— Quel temps ! dit-il en enlevant sa veste Montcler de couleur écossaise et réversible.

— Oui. Ce n’est que de la pluie. Il pourrait neiger, mais je vois que tu es équipé au cas où.

— Oui. Un souvenir de mon dernier séjour à Avoriaz en février passé, avant de commencer cette mission de merde.

— Je sais, mais t’inquiète. On part en forêt dimanche soir pour un entraînement.

— Guérilla ?

— Dans les bois, c’est guérilla ou survie. Raconte-moi pour aujourd’hui.

La diction du rapport commence, d’un flux automatique, sur un ton monocorde. Le magasin n’a pas de vigile, pas de surveillant, mais le fait que le gérant soit inscrit dans un club de tir laisse supposer la présence d’une arme au moins dans le bureau situé à droite des caisses en entrant.

Sept caisses et probablement cinq personnes pour le réassort. Une employée au service comptabilité et un coffre.

— Un coffre ? Tu l’as vu ?

— Bin oui. Je suis entré dans le bureau pour demander au gérant s’il était déjà en contact avec les gens de l’opération Damien pour les lépreux. Tu sais ce truc où les gens vendent des Bics pour les petits nègres lépreux.

— Non, je ne vois pas. Mais c’est culotté et rudement bien joué !

C’est indéniable, Marc sait pratiquer l’art du renseignement. Grâce à sa manœuvre, il a eu le temps de compter les pas entre l’entrée du local et les bureaux, regarder les systèmes de sécurité, et même identifier le modèle du contenant à biftons. Il a tout passé au peigne fin et dit même pouvoir se faufiler dans le magasin en pleine nuit sans même faire tomber la « moindre boîte de café ou la moindre bouteille de champagne ».   Il ne sait pas encore que lorsque le magasin sera pris pour cible en février 1983, les prédateurs emporteront les mêmes mets. Ils conversent encore des zones de repli – c’est la seule chose qui interpelle Marc et Koen dans cette mission, pourquoi chercher à savoir comment filer d’un grand magasin ?

Mais Michel les a tout de suite bridés, et leur a ordonné de ne pas réaliser de prospective sur cette mission. Ils sont là pour prendre du « RENS » et après tout, ce n’est peut-être qu’un exercice.

Le petit commando se retrouve vers vingt-et-une heures à une adresse de la rue des Tournesols à Bruxelles, adresse connue d’eux seuls et d’Hilaire bien sûr.

La petite rue relie la chaussée de Ninove à la rue Pastorale. Rue qui a été le théâtre quelques mois auparavant, le 18 février 1982, d’une tuerie sans nom commise par des membres d’un service frère à NewEra. On fait le « débriefing ». Koen et Marc se ruent sur quelques bières pendant que Michel tape le dernier rapport sur la machine à écrire Olivetti tout en se repassant les mini-K7 du dictaphone pour être certain de ne rien oublier. Dans une semaine, c’est Noël et Michel n’est pas mécontent d’en avoir terminé. Les hommes se quittent vers trois heures du matin, tout le monde va dormir chez lui sauf Michel qui installe le petit lit de camp dans la discrète chambre d’étudiant louée au nom d’un ami, Robert, gendarme de son état.

En ce samedi midi, il fait relativement bon. La neige ne tombera pas avant la semaine suivante. Pour l’heure, il a plu toute la nuit, la chaussée est humide, mais le ciel est bleu. Michel sort de la planque. Il hésite quelques secondes à prendre la voiture garée dans le box de la chaussée de Ninove. Après tout, vu le temps, un peu d’exercice ne lui fera pas de mal.

Il décide donc de passer les trente prochaines minutes à se diriger, à pied, vers le numéro 118 de l’avenue Broustin. Après quelques vérifications de sécurité, il est convaincu de ne pas avoir été suivi, rassuré même. Ses estimations ont été fiables : trente et une minutes pour rejoindre la taverne de l’Hôtel Frederiksborg. Il a quinze minutes d’avance sur le planning ce qui lui permet de se calmer et de « respirer » l’air et l’ambiance de l’endroit où il doit rencontrer Hilaire.

Une veste en velours brune, un jean délavé à pattes d’éléphant, un pull à col roulé noir et des chaussures de type bottillons un peu passées et non cirées. On ne peut pas dire qu’Hilaire soit l’archétype du dandy. Au contraire. Son passé de professeur intérimaire dans l’enseignement secondaire a plus conditionné son style vestimentaire et la justesse de ce dernier que son grade de réserviste dans l’armée de l’air. Ce n’est que depuis trois ans et au bout de sept ans qu’il a été promu au sein de la Sûreté de l’État comme commissaire, sur concours. Il se dirige d’abord vers les toilettes. Puis, monte à l’étage avant de rejoindre Michel.

Le Frederiksborg se situe sur le pignon de deux rues. C’est d’ailleurs un bâtiment imposant. La plupart des espions et des grands flics y ont leurs habitudes. On peut y croiser aussi des journalistes en recherche de contacts parfois à la limite de la déontologie. La pègre y élit parfois ses quartiers pour prendre la température.

Attablé, Michel déguste un café. Hilaire en commande un autre et demande un supplément « portion de fromage ». Le commissaire défie encore une fois toutes les lois de la discrétion. Mal habillé ou de façon extravagante, il se permet le luxe de faire ses réunions au vu et au su de tout le monde. Cerise sur le gâteau, il bouffe littéralement et boit toujours des choses improbables et difficiles à associer. Ce qui laisse un souvenir marqué à qui l’a rencontré, ou tout simplement croisé.

— Tu as tous les documents ?

— Oui. J’ai tout dans la petite pochette qui est dans mon dos.

— Donne-la-moi !

— Maintenant ? Tu es fou ?

— Tu vois bien qu’il n’y a personne, et puis tu bosses pour la Sûreté, tu es couvert. T’as rien à craindre.   Non, si nous ne faisions pas cela au grand jour, là tu aurais du souci à te faire. Je ne suis pas grillé et ma hiérarchie me mandate pour faire tout ça, déclama le Commissaire Sarre.

— Je vois. OK.

Il n’en est rien. Au contraire. Michel ignore que durant la période de 68, Hilaire avait été assez actif du point de vue syndical.   Étudiant en philologie romane, l’unioniste « rouge » a été repéré par un militant communiste. Ce dernier ayant quelques contacts à l’ambassade soviétique et il a qualifié le jeune Hilaire de prometteur.

Le KGB a donc décidé d’investir dans ce profil. Une jolie fille yougoslave a été envoyée sur place pour préparer le terrain. Depuis Hilaire est en main, il n’a jamais failli à ses missions. Il agit toujours en un bon petit soldat. La Sûreté n’a rien vu venir lorsqu’elle a décidé de l’engager en 1972. Il a cru une fois se faire démasquer par l’un de ses chefs, mais très vite tous deux ont compris qu’ils travaillaient pour la même maison. Il n’a jamais rien refusé à Moscou. Et lorsque Petrov, son officier traitant, lui a commandé de faire voler des télex à l’OTAN, c’est tout naturellement qu’il a monté une opération double, et à double sens.

Il a manipulé en profondeur les membres de NewEra pour dérober les documents top secret ; en cas de problème : tout faire passer sur le compte d’un exercice de contrespionnage. Personne n’a su que deux services clandestins ont été mis en concurrence pour opérer. Ceux du WNP[4], sont tombés. Les gars de NewEra s’en sont sortis, et les documents publiés ! À la grande joie des services soviétiques, réels commanditaires de la fuite.

— Pour les magasins, je ne veux plus vous y voir avant le mois de février, c’est compris ? dit Hilaire.

— Compris, on n’y fera même pas nos courses !

— Et quoiqu’il se passe motus… je sais que les Rouges préparent un coup de déstabilisation dans ce genre, c’est pour ça que je t’ai demandé de prendre les RENS avant. Pour qu’on puisse évaluer la menace et la faisabilité d’attaques.

— Je n’ai rien demandé, Hilaire. Mais c’est bien de me le dire. Si les Rouges attaquent nos grandes surfaces, va falloir nous armer.

— C’est pour ça qu’on part en stage. Je crois que c’est prévu pour février ou mars d’après un Rouge qu’on a retourné.

— Les Américains, ils sont au courant ?

— L’idée de la mission que vous avez faite vient directement d’eux et comme ils avaient besoin des meilleurs, je t’ai demandé de passer à l’action.

Hilaire est un expert en manipulation. Et Michel est devenu son « patient » idéal. Après tout, NewEra bouffe à tous les râteliers. Se mettant à disposition des hommes politiques – plutôt de droite – ou des intérêts financiers, l’organisation est issue de la scission du Front de la Jeunesse. Certains sont partis vers d’autres horizons, d’autres ont rejoint la Gendarmerie et les plus habiles et retors à l’autorité ont créé de nouvelles structures. La grande force de NewEra, c’est la discrétion. Les douze membres savent compartimenter leurs missions. Ainsi quatre structures de trois hommes travaillent sur des dossiers différents et tous ne se connaissent pas. Seul Michel – qui fait partie d’autres groupes pour des raisons obscures – connaît tout et fournit l’entièreté des organigrammes et des missions à Hilaire qu’il considère comme son officier traitant pour l’OTAN.

Si seulement il savait que Sarre est une sale ordure soldée au bortsch, il l’abattrait sans oublier de le torturer avant. Et cela Hilaire l’a occulté. Il a fait abstraction de la dangerosité de Michel dont les idées n’ont rien à envier à ses envies d’en découdre s’il le fallait.

Lorsque Michel quitte la taverne, il a l’envie inédite de filocher son supérieur car s’il est vrai qu’Hilaire lui a appris beaucoup de choses, il n’en demeure pas moins une énigme. Ils se sont d’ailleurs rencontrés la première fois lors d’un exercice Stay Behind de l’OTAN, exercice qui consistait à réaliser des contre-filatures.

L’instructeur que l’on surnommait à l’époque le Jarre devint vite Hilaire, puis le Commissaire Hilaire Sarre en charge des relations entre la mouvance d’extrême droite et le réseau clandestin agissant au sein de la Sûreté pour l’OTAN. Michel quant à lui, devint le petit protégé et parfois sans le savoir le bras armé « rouge » d’Hilaire.

« Si je le suis, il va me détroncher », pense-t-il si fort qu’il s’entend presque parler. Il hésite encore et puis un « à quoi bon » lui traverse l’esprit et finit de le convaincre d’aller aux putes avant les jours d’entraînement imminents. Le départ est prévu pour le lendemain et il ne pourra plus « tirer sa crampe » avant jeudi ou vendredi, si tout se passe bien.

[1] Service fédéral de renseignement ( Bundesnachrichtendienst ) extérieur du gouvernement fédéral allemand, placé sous la tutelle du Chancelier fédéral.

[2] Appareil de repérage d’appels téléphoniques ; enregistreur permettant de savoir qui au départ d’un poste téléphonique est appelé.

[3] Enregistreur permettant de savoir qui appelle un téléphone déterminé. Les deux systèmes (ZetM) ont été remplacés par l’opérateur national belge (Belgacom) par un nouveau système en 1993 (ELMI). Si le système a changé, les termes Zoller et Malicieux sont encore utilisés par les services de police lorsqu’ils parlent d’écoutes téléphoniques.

[4] Westland New Post – groupuscule d’extrême droite belge proche du parti conservateur de l’époque pour lequel étaient effectuées des missions de milice.

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